Surveillance des mails, des connexions, des appels... Les salariés sont de plus en plus contrôlés par leur hiérarchie. Et certains ont décidé de ne pas se laisser faire. (illustration)

L'effort de travail motivé par des raisons extrinsèques nuit au bien-être quel que soit le nombre d'heures supplémentaires. (illustration)

Science Photo Library via AFP

Selon une étude récente de l'Organisation mondiale du travail, le fait de travailler 55 heures ou plus par semaine est associé à un risque accru de 35 % de subir un accident vasculaire cérébral et de 17 % de mourir d'une cardiopathie ischémique, par rapport à une semaine de 35 à 40 heures. Les Japonais ont même inventé un mot pour désigner la mort due au surmenage : karoshi. En dehors de ces exemples extrêmes, il existe de nombreuses preuves du fait que les personnes qui effectuent un grand nombre d'heures de travail paient un lourd tribut en termes de stress, de fatigue, de burn-out, d'épuisement ou de maladie.

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L'effort de travail conséquent est une préoccupation majeure parce qu'il est très répandu : selon la sixième enquête européenne sur les conditions de travail, 30 % des travailleurs européens dépassent régulièrement les 40 heures par semaine. Rien qu'au Royaume-Uni, 5,3 millions de travailleurs font en moyenne près de 8 heures supplémentaires non rémunérées par semaine.

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Il semble que les journées à rallonge comme celles des traders (c'est encore le cas, d'après une recherche innovante co-écrite par l'un de nos collègues de ESCP) deviennent la norme pour de nombreuses catégories de travailleurs. Mais il n'est pas simple de déterminer quelles conséquences cela a sur leur bien-être. Certains soutiennent que les heures supplémentaires n'ont pas d'effets négatifs, tant que les employés gardent la maîtrise de leur temps de travail. On peut cependant en douter, lorsqu'on observe des cadres dont les corps souffrent et se rebellent alors qu'ils sont des bourreaux de travail volontaires. En montrant que les conséquences sur le bien-être dépendent plutôt des raisons pour lesquelles ils effectuent un grand nombre d'heures, nos recherches aident à y voir plus clair.

Pression ou passion

Nous nous inscrivons dans une perspective théorique reposant sur l'autodétermination. Celle-ci fait spécifiquement la distinction entre la motivation extrinsèque - faire quelque chose pour atteindre un objectif externe - et la motivation intrinsèque - faire quelque chose parce que c'est intrinsèquement intéressant et agréable. Dans la première catégorie, on peut classer les récompenses financières, les éloges ou la pression. Dans la seconde, la recherche de l'acceptation de soi ou le désir de faire un meilleur travail. Nous avons testé empiriquement notre hypothèse en interrogeant plus de 500 employés d'un grand cabinet de conseil international, un cadre intéressant pour deux raisons : les consultants ont tendance à bénéficier d'un pouvoir de négociation et d'une certaine autonomie, et les longues heures sont à peu près la norme dans ce secteur.

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Notre premier résultat est que l'effort de travail motivé par des raisons extrinsèques nuit au bien-être. En d'autres termes, lorsque les individus consacrent de longues heures au travail à cause de facteurs externes, tels que le désir d'obtenir des récompenses, ils sont plus susceptibles de connaître des problèmes tels que le stress et la dépression. Ce n'est pas l'absence de choix qui semble jouer, mais plutôt les raisons pour lesquelles ils choisissent volontairement de faire des heures supplémentaires. Quels sont les autres facteurs qui entrent dans cette catégorie? Les employés peuvent décider de faire acte de présence dans l'espoir de booster leur carrière. Ils peuvent y consacrer de longues heures parce que tout le monde au bureau le fait, ou parce que les performances sont mesurées en fonction des heures facturables, ou simplement sous la menace de licenciement s'ils ne répondent pas aux exigences d'une charge de travail excessive.

A l'inverse, les comportements motivés par des facteurs intrinsèques sont gratifiants et donc associés à des émotions et attitudes plus positives, et à un bien-être accru. Notre étude a confirmé des impacts négatifs moindres sur le bien-être, quand les heures supplémentaires sont dues à des motivations intérieures. Lorsqu'elles sont le fruit d'une décision consciente basée sur une envie d'apprendre pour le plaisir d'apprendre, un désir de développer des connaissances et des compétences pertinentes, ou de jouir d'un sentiment de réussite, le bien-être peut donc être préservé. Les individus, en particulier les travailleurs du savoir ("knowledge workers"), peuvent également s'y lancer dans un souci d'engagement envers leurs collègues ou leur organisation.

Motivation intérieure et récompenses externes

Mais que se passe-t-il lorsque des motivations extrinsèques et intrinsèques se conjuguent? Si, par exemple, les professionnels sont poussés à travailler plus d'heures par contagion sociale, vont-ils se sentir tellement contraints d'agir de cette manière que cela réduira la mesure dans laquelle ils le font en raison de leur sens de l'engagement? Autrement dit, la pression des pairs va-t-elle "évincer" le désir de devenir meilleur dans son travail ? Malgré la prévalence de la théorie de "l'éviction" dans les publications universitaires, nous avons constaté qu'en réalité, ces motivations se renforcent mutuellement. En d'autres termes, faire des heures supplémentaires pour envoyer des signaux indiquant un désir de promotion, par exemple, est compatible avec le désir de progresser. En outre, nous avons constaté que l'association entre l'effort de travail motivé par des raisons intrinsèques et le bien-être était plus positive lorsque le nombre d'heures supplémentaires est élevé, alors que l'effort de travail motivé par des raisons extrinsèques nuit au bien-être quel que soit le nombre d'heures supplémentaires.

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Si les décideurs et responsables des ressources humaines souhaitent améliorer le bien-être au travail, ils devraient logiquement s'attacher à encourager la conception d'emplois chargés de sens, dans lesquels les travailleurs seraient prêts à s'engager par intérêt pour la tâche elle-même et l'apprentissage qu'elle peut procurer.

*Argyro Avgoustaki est professeure associée de management et responsable de la recherche sur le campus londonien de ESCP Business School. Elle s'intéresse de près à tout ce qui se situe au carrefour de la gestion des ressources humaines et des relations industrielles. Almudena Cañibano est professeur associée en gestion des ressources humaines à ESCP Business School (campus de Madrid). Ses recherches portent sur la nature changeante du travail et son lien avec les expériences des employés.

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