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Économie

La réforme des règles budgétaires de l’UE "pose des questions démocratiques" majeures

INTERVIEW - La Commission européenne souhaite réformer les règles sur les dettes publiques en allégeant les contraintes pour les Etats membres en contrepartie d’un plus grand droit de regard sur leurs dépenses. Décryptage avec Jérôme Creel, directeur du département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

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Drapeaux de l'Union européenne devant le siège de la Commission européenne à Bruxelles

La Commission européenne souhaite réformer les règles sur les dettes publiques en offrant davantage de liberté aux Etats membres en contrepartie d’un plus grand droit de regard sur leurs dépenses.

YVES HERMAN

Mis en pause avec la pandémie et le “quoiqu’il en coûte”, le Pacte de stabilité, qui impose aux Vingt-Sept un déficit inférieur à 3% et un endettement limité à 60% du PIB, devrait faire son retour le 1er janvier 2024, dans une forme nouvelle. Vingt-cinq ans après sa naissance, son bilan mitigé a amené nombreux chefs d'Etat et politiciens européens à en demander une réforme profonde. Le sujet sera sur la table des dirigeants européens qui se réuniront mi-décembre.

De son côté, la Commission européenne a fait part, le 9 novembre, de ses intentions de changement. Elle souhaite donner davantage de marge de manœuvre aux gouvernements, en échange d'un contrôle accru des budgets et de nouvelles sanctions en cas de manquement. Jérôme Creel, économiste et directeur du département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE - Sciences Po), revient sur ces propositions.

Challenges: Quel est l'état d'esprit de ce projet de réforme des règles européennes sur la dette publique rendu public par la Commission européenne ?

Jérôme Creel: La Commission propose d'assouplir le Pacte de stabilité, pour le rendre plus applicable et donc plus crédible.

Depuis 2012, le Pacte budgétaire imposait aux Etats membres de réduire leur dette publique chaque année de 5% de la différence entre leur dette réelle et leur cible d'endettement, à 60 % de leur PIB. Ce que propose la Commission, c'est de faire sauter cette règle. Dorénavant, les Etats membres négocieraient une trajectoire d'évolution de leurs dépenses primaires sur 4 ou 7 ans, plutôt que de le faire sur une base annuelle. Cela laisse du répit à l'ensemble des Etats membres qui ont une dette excessive, dont la France.

La Commission souhaite également permettre à ces Etats de mettre en œuvre les réformes et les investissements dont ils sont supposés avoir besoin. S'ils estiment que ces derniers vont créer plus de croissance économique, comme par exemple un plan d'investissement vert ou des réformes structurelles telles que celles des retraites, alors la Commission laissera des marges de manœuvre supplémentaires.

Cela signifie-t-il qu'il y aura des exonérations de certaines dépenses dans le calcul de la dette publique, notamment les investissements ?

Il n'y aura aucune exonération des dépenses, mais un gouvernement qui décide d'investir massivement, par exemple dans l'éducation de sa population, pourrait se voir octroyer quelques marges de manœuvre complémentaires parce que c'est supposé aller dans la bonne direction pour le bien-être et la croissance future.

Le Pacte de stabilité avait été mis en pause lors de la crise du Covid, pendant laquelle les dépenses des pays européens ont exposé. En quoi cette réforme permettrait de mieux prendre en compte l'urgence de certaines dépenses lors des crises économiques futures ?

Le calcul de l'endettement se fera désormais avec l'indicateur de dépenses primaires, c'est-à-dire les dépenses hors charges d'intérêt et hors dépenses d'indemnisations chômage. Cela peut permettre de laisser jouer pleinement les stabilisateurs automatiques.

Car, s'il y a une crise économique ou un ralentissement, sur cet horizon de 4 à 7 ans, il y aura davantage de chômeurs, malheureusement, et donc davantage d'indemnisations versées par l'Etat. Avec ce nouveau mode de calcul, cela ne nuira pas à la trajectoire de dépenses publiques sur lesquels se sont accordés l'Etat membre et la Commission.

En contrepartie de cette plus grande souplesse, la réforme prévoit-elle davantage de contrôle de la part de la Commission, notamment sur la nature des dépenses des Etats ?

La réforme donnerait plus de pouvoir à la Commission européenne, qui serait au centre de tout. Elle s'octroierait le rôle de contrôler à la fois la trajectoire de dépenses primaires, mais aussi la validité des réformes et des investissements que portent les Etats.

C'est elle qui jugera si, oui ou non, c'est la bonne direction. Cette proposition qui émane de la Commission lui donne effectivement le beau rôle, et beaucoup d'importance dans le processus budgétaire. Elle donne également plus d'importance à d'autres institutions non élues, que sont les comités budgétaires nationaux, dont le Haut conseil aux finances publiques en France. Mais cela posera des questions démocratiques, car pourquoi un Haut conseil aux finances publiques devrait décider de quoi que ce soit ? Il n'en a pas le mandat.

Les sanctions européennes seront-elles renforcées ?

Le problème du Pacte de stabilité, c'est qu'alors même que plusieurs gouvernements n'ont officiellement pas respecté les critères de 3% et de 60% certaines années, voire souvent, il n'y a jamais eu de sanctions. Ces dernières ne sont donc pas très crédibles. Donc, la Commission a proposé de pouvoir, par exemple, interdire à un pays qui serait en déficit excessif d'accéder au fonds européen de Next Generation EU, le plan de relance européen créé en 2020.

Actuellement, il n'y a pas de conditions d'accès, mais il pourrait y en avoir. Or, Next Generation EU, c'est beaucoup d'argent (750 milliards d'euros, NDLR). Cela peut donc valoir la peine de rentrer dans les clous budgétaires pour continuer de bénéficier des fonds européens.

Une autre proposition de sanctions évoquée consisterait à imposer systématiquement au ministre des Finances d'un pays en déficit excessif d'aller faire amende honorable au Parlement européen. C'est le seul moment où le Parlement européen est évoqué dans le processus budgétaire du projet de réforme de la Commission. Or, le pouvoir de coercition du Parlement européen face aux ministres des Finances en déficit excessif est nul. Donc à quoi il servirait ? À humilier. Ce n’est pas terrible.

Cette réforme du Pacte de stabilité est-elle justifiée par le fait qu'il n'était presque pas respecté ?

Il était insuffisamment respecté, mais je pense qu'il était internalisé. Si on dit à un ministre des Finances qu'il doit avoir un déficit en dessous de 3% et que l'économie subit une crise, il va vouloir limiter autant que faire se peut l'écart à la règle et va envoyer des lettres de cadrage aux autres ministères. Mais les pays qui n'ont pas cette règle, comme les Etats-Unis, se contrefichent de l'expansion budgétaire qu'ils vont créer. Pendant le Covid, les Américains ont augmenté leurs dépenses publiques de 25 % du PIB. L'Europe était bien en deçà, car elle ne voulait pas s'écarter trop des règles.

Donc, certes, on ne respecte pas scrupuleusement cette règle, mais elle pèse sur l'expansion budgétaire lorsqu'on en a besoin. On s'interdit d'augmenter autant que d'autres pays qui n'ont pas cette règle ; cela limite les marges de manœuvre.

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